Briante (rivière la)
Hydrographie
La Bruente, petite rivière dont le nom est attesté en 1498, prend sa source sur la commune de Radon, à 312 mètres d'altitude, au lieu-dit Les Graviers, sous les frondaisons de la forêt d'Écouves. Elle se jette dans la Sarthe, au cœur d'Alençon, après avoir parcouru 1 500 mètres à travers l'agglomération.
Selon quelques historiens, le nom de ce cours d'eau pourrait être tiré du mot celtique bryo, qui signifie "couler". D'autres pensent qu'il dériverait des termes gaulois briga, voulant dire "hauteur", ou briva, "gué". D'autres encore n'écartent pas l'hypothèse que la graphie Bruyante, relevée dans la plupart des documents du XVe siècle, pourrait venir du patois normand bri, signifiant bruit. La forme Brillante viendrait de la légende qui veut que de l'or y aurait été trouvé ou de cette autre qui raconte que ce sont des bûcherons qui l'auraient appelée ainsi à cause des reflets du soleil qui s'y réfléchissaient. C'est cette orthographe qu'adopte Honoré de Balzac, venu dans notre ville en 1825 et 1828, où il situe plusieurs de ses romans, notamment La vieille fille dans lequel il mentionne notre rivière : "Le jardin d'environ un demi-arpent, est margé par la Brillante, ainsi nommée à cause des parcelles de mica qui paillettent son lit."
Un plan de 1745 montre que, parvenue à Alençon, la Briante longe les Châtelets et le faubourg de Lancrel avant de traverser le parc du château et d'atteindre ce dernier. C'est près de la tour couronnée qu'elle se divise en deux bras. Le bras majeur passe sous le pont de la rue de la Porte-de-la-Barre, longe les murs d'enceinte de la ville par les "fossés de la Barre", parcourt les terrains du centre hospitalier où il se jette dans la Sarthe.
Le bras mineur tourne autour de la tour couronnée, arrive au pont de l'entrée du château, circule sous la rue de la Chaussée et se divise de nouveau en deux bras après le pont. Le bras nord, appelé jadis "canal des tanneurs", coule sur les lieux de la place de la Halle-au-Blé et de la rue De-Lattre-de-Tassigny, plonge sous la Grande-Rue, se dirige à gauche pour traverser la rue du Pont-Neuf et entrer dans les jardins de la Providence, puis vire à droite pour se jeter dans la Sarthe. Quant au bras sud, dénommé "canal du vivier [de Mgr le comte]", il passe sous le pont de la rue des Filles-Sainte-Claire, longe l'arrière de la rue du Val-Noble, circule sous la Grande-Rue et rejoint la Sarthe près du pavillon Henri-II.
Dans les siècles précédents, le cours de la Briante était davantage fractionné. Il donnait naissance à plusieurs îlots comme ceux du Jaglolay, entre les bras nord et sud, et de Herteault, placé entre la Grande-Rue et les remparts. Jusqu'en 1776, date de l'aménagement de la place Foch, un de ses bras, après le pont de la rue de Bretagne, traversait le site, alimentant un abreuvoir et desservant le moulin du château avant de rejoindre le pont de la rue de la Chaussée. Les eaux, qui se répandaient en entretenant un marécage, suivaient les contours ouest et sud des fortifications et s'étalaient en un plan d'eau situé à une centaine de mètres de la porte de la Barre.
Histoire
C'est en partie à la Briante qu'Alençon doit sa naissance vers le IVe siècle. Le confluent de celle-ci et de la Sarthe offrait des possibilités défensives avec ses zones marécageuses. C'est sur un petit plateau asséché, à 250 mètres du gué sur la Sarthe, à l'emplacement du carrefour des Étaux, au milieu d'un triangle formé de cette dernière et de deux bras de la Briante, que les premiers habitants s'installent entre les IVe et VIIIe siècles et que le premier château est probablement bâti au Xe siècle. Les bras des rivières, à cette époque, permettent une défense facile et la Briante joue alors un rôle historique en servant de protection au château qu'elle ceinture complètement en alimentant ses douves. La vocation défensive du cours d'eau a contribué à modeler les contours de la cité et, jusqu'au XVIIIe siècle, les bras coulant entre les rues aux Sieurs et du Val-Noble marquèrent la limite des quartiers Saint-Léonard et de Notre-Dame.
Autrefois, la Briante, comme tous les cours d'eau, occupait une place importante dans la vie économique. Elle était une source d'énergie utilisée dans la campagne par les abreuvoirs, les blanchisseries, les cultures maraîchères, les fermes, les haras, les lavoirs, les moulins, les piscicultures, etc. Dans la ville, elle desservait les abreuvoirs de la rue Jullien et du château ainsi que de nombreux lavoirs privés et publics utilisés jusque vers 1965. Elle actionnait les moulins des Châtelets, de Lancrel, du château, du couvent des clarisses et celui du Guichet. Elle était encore utilisée par les blanchisseries, les tanneries et les teintureries des rues aux Sieurs et du Val-Noble et par la "tuerie" de la rue de la Porte-de-la-Barre. Pour pratiquer toutes ces activités, il a parfois été nécessaire de dériver ses multiples bras.
L'industrie de la tannerie, qui comprenait outre les tanneurs, les bourreliers, les cordonniers, les corroyeurs, les mégissiers, les pelletiers, etc., paraît avoir été la première à se fixer sur les bords de la Briante. Attestée en 1409, mais pouvant remonter au XIIIe siècle, elle a été pratiquée jusqu'à la fin du XIXe siècle. Installés derrière les maisons de la rue aux Sieurs, qui tire son nom du mot sueur signifiant "cordonnier", et de la rue du Val Noble, les tanneurs se servaient de l'eau pour travailler leurs peaux. Un rapport de 1745 indique que "[...] autrefois la tannerie y était considérable, mais que depuis cinquante ans, elle y est beaucoup déchue". La dernière, située rue aux Sieurs, a fermé ses portes en septembre 1895. Probablement fort ancienne, la blanchisserie était également une activité importante. Les établissements des rues aux Sieurs, du Val-Noble et de la Grande-Rue ont subsisté jusqu'au milieu du XXe siècle et celle de la rue Lallemant a fermé ses portes en 1956.
Jusqu'à la mise en service de la rue De-Lattre-de-Tassigny en 1972, le cours d'eau coulait à l'arrière de la rue aux Sieurs et il était encore possible d'arpenter avec précaution ses berges aménagées de minuscules quais maçonnés, d'une largeur ne dépassant pas quarante centimètres, où se rencontraient nombre de lavoirs. Quant au bras longeant l'arrière des maisons de la rue du Val-Noble, il était coupé de plusieurs ponts servant à atteindre de très vieux logis.
Les inondations
La Briante a fréquemment sévi. Des inondations sont attestées en 1386 et 1392. En 1602, ses eaux abattent une partie des murs du parc du château. De nouvelles crues surviennent quatre ans plus tard et endommagent le couvent des clarisses dans lequel l'eau monte jusqu'à 1,28 mètre. En mars 1711, l'établissement est encore touché : les eaux furent "plus grandes qu'elles n'avoient esté depuis deux cents ans". Il faut aller à cheval chercher le saint sacrement dans l'église envahie. Pour lutter contre les inondations - celle des 24-28 février 1772 fut exceptionnelle -, on édifie, en juillet 1772, une digue-déversoir au pied de la tour couronnée et des travaux sont effectués en 1775. Le lit du bras majeur, entre l'actuelle rue Jullien et la Sarthe, est rectifié et canalisé. Une importante montée des eaux, due à une obstruction accidentelle du lit de la rivière, survient les 5 et 6 décembre 1787. Un rapport de 1828 note que "Tous les ans, et souvent trois ou quatre fois par an, la Briante se gonfle subitement et sort de son lit. Un orage suffit pour produire cet effet. Alors, elle envahit les cultures voisines de son cours, couvre de vase les près fauchables dont le foin n'a plus de valeur ; enfin elle pénètre dans les jardins, les caves et les cuisines".
Le 12 janvier 1962, des pluies abondantes aggravent l'engorgement des bras de la rivière. L'eau atteint la Grande-Rue et envahit les rues Jullien et Javouhey. À la suite de nouvelles crues le 20 novembre 1963, excédés de la pollution et des inondations, les victimes fondent l'association "Les riverains de la Briante".
Assainissement
La Briante a toujours servi de dépotoir. Les eaux polluées et les odeurs nauséabondes générées par les établissements installés sur son cours au faible courant, auxquelles s'ajoutaient les eaux ménagères, les animaux morts et les immondices déposés par les habitants des maisons riveraines, causèrent un important problème d'hygiène. Ce cours d'eau était pour les riverains l'égout idéal à portée de la main. En outre, les lieux d'aisance voisinaient parfois avec les lavoirs et les laveuses devaient souvent attendre "que les petits bateaux soient passés" pour reprendre leur travail. Toutes ces ordures étaient transportées dans le bief du moulin du Guichet où elles restaient en stagnation - un cadavre y fut découvert le 29 avril 1675 - et on attribuait à leurs gaz les maladies dont étaient victimes les habitants du quartier, de classe sociale assez pauvre, demeurant dans des maisons mal aérées, humides et obscures. Les termes ne manquent pas pour décrire l'état du cours d'eau : "réceptacle d'immondices, foyer d'infection, cloaque infect" dégageant des "exhalaisons pestilentielles" et des "miasmes putrides", etc. Les ruelles qui menaient des rues aux Sieurs et du Val-Noble à la Briante étaient "infectes, sales et puantes".
Si, au milieu du XVIIIe siècle, on se préoccupe de l'hygiène, - un arrêt du Conseil d'État du 15 mars 1732 interdit l'installation de tanneries dans la rue du Val Noble -, la question de l'assainissement de la Briante n'apparaît qu'au début du XIXe siècle, mais rien d'important n'est réalisé. Après plusieurs décès dus à la fièvre typhoïde en 1845, différents projets sont présentés en 1854, 1861, 1865 et 1868, mais devant l'énormité des dépenses, ils restent sans suite. En 1885, Louis Duval, archiviste départemental écrit que "S'il fallait en croire certaines personnes naturellement portées à l'exagération, la Briante, cette rivière modeste qui traverse presque inaperçue la ville d'Alençon, balayant dans son cours les immondices que les égouts publics et privés lui versent nuit et jour, ne seraient rien moins qu'un foyer d'infection établi au cœur de la ville. D'autres prétendent que certaines bouches d'égout, particulièrement dans la Grande-Rue, près de l'ancien moulin du Guichet, laissent échapper des odeurs sans nom, des exhalaisons méphitiques qui pourraient servir de véhicule aux microbes les plus malfaisants et nous amener un beau jour la peste, le choléra, le typhus." Le docteur Frédéric Beaudouin, en 1887, signale que le bras mineur se dessèche tous les étés et qu'"il n'y a pas de printemps où la rue aux Sieurs, la rue de la Mairie, la rue d'Avesgo [du Val-Noble] ne soient frappées de fièvres intermittentes". En 1895, Louis Duval se souvient que "Naguère, on y voyait parfois flotter des charognes infectes, bouffies et soulevées du fond par le dégagement des gaz, des cadavres et lorsqu'on a nettoyé son lit, on a trouvé dans la vase des ossements [de bovidés et de cerfs], des débris d'armes et d'outils remontant à plusieurs siècles. D'anciens Alençonnais se souviennent pourtant d'avoir entendu appeler leur ville la Venise de l'Ouest."
Pour pallier ce problème d'hygiène, des curages sont effectués tous les cinq ans environ. En 1869, un arrêté municipal supprime les latrines de trente maisons et interdit de jeter dans la rivière les débris de toutes espèces. Il faut attendre les années 1890-1900 pour voir la réalisation de travaux d'assainissement entre la rue de la Chaussée et la Grande-Rue. Cependant, à l'occasion des "Journées balzaciennes", L'Éclaireur Régional de l'Ouest des 14 et 15 mai 1949 écrit : "[...] détruisons le bobard lancé par certains [...] de la saleté repoussante de la Briante [...]. Non, la Briante est au contraire proprette et lorsque que le soleil la touche, l'eau apparaît limpide. D'ailleurs les riverains des deux bras ont intérêt à cette propreté car ils y ont des lavoirs [...] l'eau est propre et convient parfaitement au lavage du linge." Entre les rues de la Porte-de-la-Barre et de Fresnay, la Briante est canalisée en 1956-1957 et, de 1964 à 1973, la pose de buses est entreprise faisant couler l'essentiel du cours d'eau sous la rue De-Lattre-de-Tassigny. En 1971, les buses ne sont pas encore installées sur la section allant de la rue de la Chaussée à la Grande-Rue en longeant l'école Masson. Ouest-France note le 17 août : "Et la Briante, plus sale que jamais, continue à charrier ses déchets, ses détritus et ses microbes dans une odeur pestilentielle, attirant toute une faune indésirable de crapauds (les moins répugnants), de moustiques et de rats."
Aujourd'hui, de la forêt à l'entrée de l'agglomération, les pêcheurs y taquinent le poisson et les travaux réalisés dans son parcours urbain ont presque fait disparaître la Briante qui sert surtout de collecteur d'eaux pluviales quelque peu polluées, n'empêchant pas une vie aquatique puisque l'on peut y apercevoir des vairons et des truites.
Extrait de Alençon de A à Z (Alain Champion, Éditions Alan Sutton, 2008).