Jardin (Bernard)

Bernard Jardin est né le 12 août 1920 à Argentan (Orne) de parents hôteliers qui viennent s'établir à Alençon pour exploiter le café de la Pyramide. Après des études primaires et secondaires, il devient apprenti boucher en 1937. À la déclaration de guerre, il s'engage et embarque pour la Syrie où sa conduite lui vaut la croix de guerre. Démobilisé en 1941, il rentre à Alençon.

Pendant l'Occupation, en mars 1943, Bernard Jardin est arrêté par les Allemands pour trafic de viande et il est envoyé à Wilhelmhaven (Allemagne) au titre du travail obligatoire. Le 3 octobre, au cours d'une permission, il est une nouvelle fois interpellé par la police allemande pour vol de tickets d'alimentation et incarcéré au château en compagnie de plusieurs résistants. Avant son emprisonnement, le responsable de la Gestapo ornaise lui avait proposé de collaborer avec ses services à la recherche des résistants et il commence à "travailler" en dénonçant ses compagnons de cellule. Après sa sortie de prison, en mai 1944, il rassemble une quarantaine de tueurs, de tortionnaires et d'indicateurs dont quelques femmes qui n'hésitent pas à revêtir l'uniforme allemand et à participer à plusieurs expéditions, pistolet au poing. Il met, jusqu'à la Libération, toute sa volonté, toute son énergie et toute son intelligence au service de l'Allemagne nazie en faisant régner la terreur. Il dirige plus de soixante expéditions, émaillées d'arrestations, d'interrogatoires musclés, de tortures, d'exécutions généralement sommaires, de déportations, de pillages et d'incendies. Son slogan : "d'abord du doigté, ensuite de la pogne". En donnant à Bernard Jardin un droit de vie et de mort, Richard Reinhardt, chef de la Gestapo de l'Orne, obtient des résultats qui dépassent ses espérances puisque son collaborateur décapite la Résistance ornaise en quelques mois. Sa base principale est le château de Vervaines à Condé-sur-Sarthe. Cent dix Ornais seront ses victimes. À son triste palmarès, on trouve Daniel Desmeulles, chef de la Résistance de l'Orne, arrêté en 1944 et déporté ; libéré mais trop affaibli pour rentrer en France, il mourra le 12 mai 1945. François Bouilhac est atrocement torturé le 24 juillet. Lors de la débâcle allemande, Bernard Jardin quitte Condé-sur-Sarthe avec la Gestapo qui lui confie la bonne marche de l'évacuation de ses comparses. Le 9 août, en passant à l'Hôme-Chamondot, il fait fusiller, ce qu'il niera à son procès, François Bouilhac, Fernand Chasseguet, Jean Mazeline et deux autres résistants qui entravent sa fuite.

Après la Libération, Bernard Jardin gagne Baden-Baden, en Allemagne où, dès son arrivée, il met sur pied, en attendant la contre-offensive de Von Rundsett dans les Ardennes, un commando pour la Normandie. Pendant la bataille, il effectue avec ses complices de nombreuses missions de reconnaissance à travers les lignes alliées. Après l'échec de Von Rundsett, la bande se réfugie à Mérano, en Italie, centre de ralliement de tous les collaborateurs. Arrêté dans cette ville en septembre 1945 avant d'avoir pu entrer dans une filière d'évasion vers l'Amérique du Sud, Bernard Jardin est transféré à Rouen, puis à Caen et finalement à Alençon où il est emprisonné au château dans une cellule que ses victimes avaient occupée avant lui. Les fers aux pieds, car soumis par anticipation au régime des condamnés à mort, il est constamment gardé à vue. Pendant sa détention, il quitte souvent sa cellule pour être interrogé ou pour témoigner dans les procès de ses anciens subordonnés.

Lorsque s'ouvre le sien, le 10 avril 1946, le tribunal d'Alençon est rempli par une foule toute vêtue de noir : les mères, femmes et orphelins de ses victimes. On a même fouillé les sacs à l'entrée de peur que quelqu'un ne fasse justice lui-même. Il ne faut pas moins de vingt-cinq pages et quarante minutes de lecture pour citer tous ses forfaits. Tout au long des débats, défendu par Me Isorni, qui quelques mois auparavant avait plaidé pour le maréchal Pétain, Bernard Jardin fait preuve d'un calme olympien et d'une aisance déconcertante dans son complet beige de bonne coupe, et reconnaît la plupart de ses méfaits. Quand on lui reproche d'avoir mis son intelligence et son dynamisme au service de l'occupant, il affirme avoir agi "non pas par lâcheté, mais pour le national socialisme". Au terme du procès au cours duquel il ne fait aucune révélation sur les dénonciateurs qui l'ont aidé à décimer les résistants, le tribunal, après une courte délibération, rend son verdict. Bernard Jardin est condamné à la peine mort et à la confiscation totale de ses biens. La foule quitte alors la salle en applaudissant.

Bernard Jardin lors de son procès

Réveillé à 5 h 30, le 17 août, le condamné rédige quelques lettres à sa famille, s'entretient avec l'aumônier, descend au greffe accomplir les suprêmes formalités, boit le verre traditionnel d'eau-de-vie et emprunte le petit chemin de ronde au détour duquel il aperçoit le poteau d'exécution qui se dresse au bout du chemin. Huit sous-officiers de la garnison, quatre debout, quatre à genoux se mettent en position. Les yeux bandés, Bernard Jardin crie "Vive le socialisme, et vive la France quand même !" Au commandement, le peloton d'exécution fait feu. La salve retentit dans les murs de la prison. Bernard Jardin s'écroule, foudroyé par la décharge. Il est 7 h 05. Le chef de la Gestapo française dans l'Orne à payé pour tous les résistants qu'il a lui-même exécutés ou dirigés vers les camps de la mort, en emportant certainement plus d'un secret compromettant dans la fosse commune du cimetière Saint-Léonard où il fut inhumé.

 

Extrait de La Seconde Guerre mondiale à Alençon (Alain Champion, Éditions Alan Sutton, 2007).