Ozé (maison d')
Vers 1450, Jean du Mesnil, échevin d'Alençon, l'un des artisans de la libération de la cité investie par les Anglais en 1417 et anobli pour cette raison le 5 décembre 1449, fait construire la maison dite "d'Ozé", qui devrait plutôt porter le nom d'hôtel du Mesnil.
D'aspect monumental et sévère, ce logis aux lignes simples et pures, mi-manoir, mi-maison forte, aux murs épais, est une construction de granit située au n° 10 de la rue Étoupée, entre les remparts du Plénître et la place de la Magdeleine alors occupée par le cimetière de la paroisse Notre-Dame. La partie principale, comprenant un large porche, appartient au style de transition de la seconde moitié du XVe siècle ; le pavillon accolé, aux toits pointus, est du siècle suivant mais il a été bâti en harmonie avec cette dernière. Le premier étage est éclairé par plusieurs hautes baies dont certaines sont dotées de meneaux. L'intérieur de l'édifice est composé de très belles salles.
La façade postérieure, donnant sur un jardin, comprend une tourelle cylindrique au sommet carré. Du jardin, le visiteur peut voir des vestiges de remparts constituant les clôtures de cette propriété et qui rappellent la ville fortifiée.
Après le décès de Jean du Mesnil en 1485, la maison passe dans les mains de Louis, son fils aîné, puis de Gilles, neveu de ce dernier. Celui-ci, lieutenant général du bailliage d'Alençon, la vend, le 2 février 1521, à Guillaume Le Coustellier, échevin de la ville, secrétaire du duc d'Alençon Charles IV et gendre de Catherine Le Gay, dame d'Ozé. À la mort de Guillaume, devenu seigneur d'Ozé après le décès de sa belle-mère, d'où le nom donné au logis, l'hôtel échoit à sa fille Jeanne, épouse de Jean de Frotté, secrétaire de la duchesse d'Alençon Marguerite d'Orléans, qui le vend à François, son frère aîné, le 28 octobre 1566. C'est lui qui fait édifier le pavillon accolé au bâtiment. Son fils aîné, Thomas, maître d'hôtel du roi de Navarre, futur Henri IV, épouse en 1573 Françoise de Courdemanche qui, dit-on, fera plusieurs fois les honneurs de la demeure au Vert-Galant.
Sur les deux séjours de ce dernier à Alençon - le premier attesté du 6 au 12 février 1576 et le second du 23 au 28 décembre 1589 - s'est greffée la légende de "la dinde en pal". Celle-ci, qui ne s'embarrasse pas de la chronologie, prétend qu'Henri se présenta, sans être attendu, à la maison d'Ozé, en l'absence du maître des lieux. Son épouse, qui ne le connaissait pas encore, le prend pour un supérieur de son mari et le retient à dîner. Mais, prise au dépourvu, elle doit avoir recours à un voisin qui lui fournit une dinde en échange de sa participation au repas. Le roi est très heureux de son incognito et les agapes sont animées. Au dessert, l'hôtesse s'aperçoit de sa méprise et, confuse, se rend compte qu'elle a le souverain devant elle. Le voisin, qui l'avait reconnu, lui demande, profitant de sa bonne humeur, à se faire anoblir puisque celui-ci lui avait fait l'honneur de l'admettre à sa table. "Ventre Saint-Gris, tu seras gentilhomme et porteras ta dinde en pal !" se serait exclamé Henri IV qui, par ailleurs, aurait oublié une paire de bas de soie bleue à fils d'or.
Il est vrai qu'Henri, alors qu'il n'était encore que roi de Navarre, très surveillé à la cour du roi Henri III, s'enfuit en février 1576 et vint se réfugier à Alençon, domaine du duc François, qui conspirait sans cesse contre le roi son frère, et où demeurait son maître d'hôtel. Son arrivée inattendue est donc compréhensible et l'on peut admettre qu'à cette date Françoise de Courdemanche ne le connaissait pas encore. Il est fort probable que le Béarnais ait admis à sa table quelques Alençonnais. Nous savons notamment que le médecin Olivier Caillard profita de sa présence pour lui demander d'être le parrain de son fils, ce qu'il accepta. Sans doute y eut-il un repas après la cérémonie. Le reste n'est que fable. En décembre 1589, lors de la reprise d'Alençon sur les ligueurs par Henri IV - devenu roi en août précédent -, la dame d'Ozé devait connaître le souverain qui, le plus souvent, n'accordait la noblesse qu'aux "généreux faits de guerre" ; ajoutons qu'aucune famille noble d'Alençon n'a porté de "dinde en pal" dans ses armoiries.
La propriété reste dans les mains de la famille Le Coustellier jusqu'au 28 août 1616, date à laquelle elle est vendue à Thomas Duval, conseiller du roi et lieutenant particulier au siège présidial et bailliage d'Alençon. Possédé ensuite par les familles de Gennes, Pineau de Viennay, Poulain de Martenay, Desprès, Biseul, de Cerisay en 1817, Lecointre-Dupont en 1833 et par la communauté de la Providence en 1854, l'immeuble est acheté par la Ville le 18 avril 1861 dans le projet, ajourné, de le démolir pour agrandir le marché. Il est alors utilisé en 1865 pour abriter l'exposition des beaux-arts, comme casernement en septembre 1871, puis aménagé en école maternelle.
À la suite d'un accident donnant des doutes sur la salubrité du bâtiment, le conseil municipal vote sa démolition le 10 mai 1899. Mais une partie de l'opinion se dresse contre ce projet et Georges Lebouc versifie :
"Normands ! la vieille patrie
Par vos élus est meurtrie ! Ils commettent un forfait !
Car, ce qu'ils ont osé faire,
Songez que pendant la guerre,
Les Prussiens ne l'ont pas fait."
Le 29 juillet 1900, la Société historique et archéologique de l'Orne demande au ministère de l'Instruction publique et des beaux-arts le classement de l'édifice parmi les monuments historiques. Celui-ci intervient alors pour qu'il soit sursis à la démolition. Cependant, le conseil municipal persiste dans son projet d'abattre le vieux logis et, le 18 novembre 1901, il envisage de construire un hôtel des postes sur son emplacement. Après bien des difficultés, la maison d'Ozé est classée parmi les monuments historiques en 1903, ce qui la met à l'abri de la pioche des démolisseurs, et elle est restaurée au cours des années 1906-1907.
La Société historique s'y installe dans deux pièces de 1906 à 1927, date à laquelle on y aménage le musée qui y restera jusqu'en 1981. L'école de musique trouvera sa place dans le bâtiment jusqu'en 1973. L'hôtel du Mesnil abrite aujourd'hui des salles d'exposition et les services de l'office de Tourisme. Dans le jardin, se trouve une fenêtre en granit, munie d'un linteau à double accolade et écu, provenant de la destruction du four à ban qui était située rue du Bercail. Cette fenêtre serait celle de la chambre de la fille, ou de l'épouse, du tenancier qui aurait eut des bontés pour le roi de Navarre - encore lui ! - lors de son évasion de février 1576. Le Vert-Galant aurait déclaré à la belle : "Ventre Saint-Gris, ma mye, votre four arde pis que braise, on y cuirait douze fournées par nuictées". À proximité, beaucoup plus récente, trône une boîte aux lettres anglaise de style Georges V (1910/1936), offerte au comité de jumelage Alençon-Basingstoke en 1981.
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