Valazé (Charles)

Charles Dufriche des Genettes, plus connu sous le nom de Valazé, tiré d'un bien de famille à Essay (Orne), est né rue Poulet le 23 janvier 1751 dans une famille de petite bourgeoisie. Après avoir, écrira-t-il, "reçu les principes de son éducation" dans sa ville natale, attiré par l'armée, il effectue un court service de quarante deux jours dans la milice comme lieutenant au bataillon de Falaise. Mais celui-ci est supprimé le 1er décembre 1774 et, conséquence d'une ordonnance excluant les non-nobles de la carrière militaire, il doit, roturier imbu de lui-même s'étant affublé du nom d'une terre, renoncer à l'armée. Il se retire alors a Essay, vivant médiocrement de l'héritage familial qui lui permet cependant de poursuivre ses études à Caen et à Paris où il obtient le titre d'avocat au parlement. Lecteur de Montesquieu, de Rousseau et des physiocrates qui considèrent l'agriculture comme la source essentielle de la richesse, il cultive, avec son frère aîné François, dit des Madeleines, deux cent quinze hectares qu'il loue au duc d'Alençon, frère du roi et futur Louis XVIII. L'opposition des habitants hostiles à la mise en valeur de terres en friche, sur lesquelles ils ont des droits de pâture, et une certaine incompréhension des conditions économiques et sociales lui causeront d'amères déceptions.

Pendant la Révolution, Charles Valazé est un ardent défenseur des idées neuves. Jusqu'ici déçu par la vie, il espère beaucoup des nouvelles circonstances. En février 1789, il rédige le cahier de doléances d'Essay dont il est élu maire - le premier - en janvier 1790. Ambitieux et désireux de se mettre en avant, il devient membre du directoire du district d'Alençon le 21 novembre 1791. Du 1er mars au 1er mai 1792, il est président des jacobins alençonnais, républicains partisans d'une démocratie centralisée. Le 4 mars 1792, il devient également le président de la société des Amis réunis, société patriotique affiliée aux jacobins de Paris. Une pétition de deux cents Alençonnais envoyée le 31 juillet 1792 à l'Assemblée législative dans le but de prononcer la déchéance du roi est sans doute à mettre à son actif.

Élu le 5 septembre 1792 à la Convention nationale - il en est le premier député ornais -, il déclare prophétiquement qu'il "périrait plutôt que de manquer à la confiance de l'assemblée électorale". Républicain modéré et partisan du suffrage universel, il siége avec les girondins, partisans d'une idéologie bourgeoise, antijacobine et décentralisatrice, formé l'année précédente, dont les réunions ont souvent lieu chez lui. Dès les premières séances, il attaque la commune de Paris l'accusant d'être responsable des massacres perpétrés du 2 au 7 septembre. Le 1er octobre, il est nommé membre de la commission des Vingt-quatre, chargée d'inventorier les papiers du comité de surveillance de la commune de Paris et de faire à la Convention le rapport sur les "crimes" de Louis XVI dont il cherche à atténuer les responsabilités. Ce rapport, du 6 novembre, servira de base au jugement du roi qui sera condamné à être guillotiné. Partisan de l'abolition de la peine capitale, il vote cependant la mort du monarque, mais avec sursis. Après la disparition de Louis XVI, il proclamera avec ostentation qu'il a rendu veuve Marie-Antoinette.

Adversaire de son compatriote Jacques Hébert - le père Duchesne -, de Marat, de Robespierre et des montagnards - républicains partisans d'une démocratie centralisée - dont il ne mesure pas le danger qu'ils représentent pour lui, il déploie, pour s'opposer au régime de la Terreur, une énergie qui le fait arrêter le 2 juin 1793 avec ses amis politiques. Transféré à la Conciergerie le 7 octobre, il comparaît le 30 devant le tribunal révolutionnaire. Il est accusé paradoxalement de royalisme, après avoir voté la mort du roi, et d'avoir conspiré contre la République. Condamné à mort, il s'enfonce un poignard dans la poitrine à l'annonce du verdict pour échapper au couperet de la guillotine. La légende raconte que, le voyant chanceler, son ami Brissot lui dit : "Tu faiblis, Valazé ?", "Non, je meurs" répond celui-ci qui expire instantanément. Son corps, réintégré dans la prison, sera conduit à l'échafaud, ouvert pour l'autopsie et gisant sur la paille de la même charrette que les autres condamnés et inhumé avec eux. Le député alençonnais qui avait prévu et appelé la Révolution, fut broyé par celle-ci.

Attaché au bien public, Charles Valazé a laissé plusieurs ouvrages qui ont connu quelque notoriété dont Les lois pénales dans leur ordre naturel (1784), dans lequel un chapitre contre la peine de mort et le suicide est resté célèbre ; À mon fils (1785), recueil de leçons de sagesse qui révèle une bonne connaissance du cœur humain : "Ce sont des conseils que je te donne, dit-il, et non pas des ordres", Idées d'un citoyen sur un système possible de finance, (1789) et Défense de C.E. Du Friche Valazé (1795), d'après un manuscrit trouvé dans une fente du mur de son cachot.

Le 6 juillet 1966, des ouvriers procédant à des travaux de remise en état du bureau du maire, à l'hôtel de ville d'Alençon, découvrent dans le plafond deux cent quatre-vingt-dix-sept affiches datées du 24 juin 1793, parfaitement conservées, dont le texte est signé de Charles Valazé. Celui-ci proteste contre les mesures arbitraires dont il est l'objet : "Je suis arrêté sans savoir pourquoi, sans même avoir de dénonciateur" et qui recommande sa famille à ses amis.

Comment ces affiches sont-elles arrivées à la mairie d'Alençon ? Rappelons qu'en 1793 l'hôtel de ville ne comprenait pas les deux ailes et n'était constituée que de la partie centrale. L'aile sud, comprenant le bureau du maire, a été construite en 1792 par François des Madeleines, le frère de Valazé. En 1793, des Madeleines est juge au tribunal révolutionnaire de Paris devant lequel doit comparaître son cadet le 30 octobre. Suite à un décret portant que les membres du tribunal ne peuvent être parents des conventionnels, il rentre à Alençon le 28 juin. Nous pouvons donc imaginer que des Madeleines ramena dans sa cité les documents de son frère pour les diffuser, car nous savons par le comité de surveillance qu'il fit afficher, les 6, 7 et 8 juillet, diverses proclamations et écrits, entre autres une adresse de Valazé, et qu'il cacha le surplus dans le plafond de sa maison inachevée. D'ailleurs, compromis lui-même, il est arrêté le 6 octobre 1793 et libéré le 22 janvier 1794. Mais son arrêté de libération est révoqué et, pour éviter une nouvelle arrestation, il part le 5 février pour l'armée du Nord. Tué en mars 1795 aux environs d'Ypres (Belgique), sa veuve vend la maison, en octobre suivant, avec les affiches de son beau-frère dont elle ne soupçonne sans doute pas l'existence. C'est le 7 octobre 1854, après être passée en plusieurs mains, que la construction de François des Madeleines est acquise par la municipalité formant ainsi l'aile sud de l'hôtel de ville.

La rue Valazé ne porte pas son nom, comme on le croit communément, mais celui de son fils, le général Éléonore Valazé.

 

Extrait de Alençon de A à Z (Alain Champion, Éditions Alan Sutton, 2008).