Barbot (Marthe)

Marthe Barbot est née à Alençon vers 1605 dans une famille protestante. Elle est la fille de Jean Barbot, procureur aux juridictions, et de Suzanne Hourdebourg, probablement fabricante de point-coupé. Nous ignorons tout d'elle jusqu'à son mariage, le 18 mars 1633, avec Michel Mercier, chirurgien, sieur de la Perrière. À cette époque, la Perrière est un lieu-dit d'Alençon qui comprend aujourd'hui le Plénître et la ruelle Piquet situés sur l'emplacement d'une perrière, c'est-à-dire d'une carrière de pierres. Le 6 mai 1634, le couple achète une maison dans la rue du Collège. Devenue veuve en 1645, Mme La Perrière ne se remarie pas.

C'est à partir de 1650 que Marthe La Perrière imite et perfectionne le Point de Venise, dont la production emploie 900 dentellières alençonnaises réparties en de multiples entreprises, pour aboutir à un style particulier appelé Point d'Alençon à partir de 1656. Sa première création appelée la "Colberte" faillit être la seule. En effet, en juillet 1657, Marthe est "affligée d'une grande langueur de maladie sans espérance de guérison". Un an après, toujours obligée de garder le lit, elle rédige son testament le 5 septembre 1658. Heureusement pour la renommée de notre ville, Marthe finit par se rétablir.

Mme La Perrière n'est pas seulement la créatrice du Point d'Alençon. Elle invente également l'organisation et la spécialisation du travail. Une pièce de dentelle, en effet, est constituée de plusieurs éléments dont l'élaboration comporte différentes étapes. Les ouvrières assez habiles pour mener à bien un travail complet étant sans doute assez rares, compte tenu des difficultés spécifiques de chaque élément, Mme La Perrière confie à chacune d'elles un point particulier, aboutissant ainsi à la spécialisation, plus de deux siècles avant Frédérick Taylor. Cette spécialisation rencontre un tel succès qu'il se répand autour de son initiatrice, mais à ses dépens, son atelier fournissant des spécialistes à ses concurrents.

Le 4 août 1665, Colbert fonde dans notre ville une manufacture royale chargée de produire du Point de France, imposant un monopole de dix ans, interdisant les entreprises individuelles et obligeant les dentellières à travailler à la manufacture. Cependant, Mme La Perrière a le temps, avant l'établissement du monopole, de perfectionner son travail, continuant ensuite à le fabriquer clandestinement. Accaparées par la manufacture, ses ouvrières introduisent sans doute son style dans la place où il continue de s'améliorer. Malgré son invention, et peut être à cause de son état maladif, Marthe La Perrière, comme beaucoup d'inventeurs, ne fait pas fortune dans son industrie. Cependant, elle vit dans une certaine aisance puisqu'en 1667 elle donne en dot à son fils sa maison de la rue du Collège, tandis qu'elle habite, depuis 1660 environ, une maison à l'angle de la rue qui porte son nom depuis le 28 juillet 1928 et de l'actuel boulevard Mezeray (une allée porte également son nom dans l'ancien quartier Lyautey, siège du Conseil général). Dans les dernières années de sa vie, elle assure occasionnellement le rôle d'expert grâce à sa réputation et ses connaissances et voit la fin du monopole qui, en 1675, n'est pas renouvelé, avant de s'éteindre le 12 ou le 16 janvier 1677 âgée de 72 ans environ.

Marthe Barbot est sans conteste la femme qui a le plus contribué à la vitalité économique et à la renommée universelle de notre ville et il est malheureusement paradoxal de constater qu'elle est une des figures alençonnaises les plus méconnues.

 

Sources

Boulard (Félix), La dentelle d'Alençon, 1924.

Despierres (Gérasime), Histoire du Point d'Alençon depuis son origine jusqu'à nos jours, 1886.