Diamant d'Alençon
C'est à partir du XVIIe siècle que commence à se répandre la réputation d'une variété de cristal de roche, appelée "diamant d'Alençon". Il s'agit de quartz hyalin, essentiellement constitué de silice, enfumé par des matières bitumeuses ou charbonneuses, que l'on trouve surtout dans les carrières de granit du Pont-Percé, sur la commune de Condé-sur-Sarthe.
Comme ces "diamants" se trouvaient à la surface des massifs granitiques, les ouvriers qui en commencèrent l'exploitation devaient les recueillir en abondance et proposer cette curiosité locale aux voyageurs, au bas de la rampe assez raide qui longe la carrière du Pont-Percé : "[…] on allégeait les carrosses et les voyageurs montaient à pied. Alors, les ouvriers, dont les poches étaient toujours pleines, offraient diamants et Saints Sacrements [béryl] ; il y en avait de tous les prix et chacun pouvait en emporter un souvenir."
Il est naturel que les orfèvres alençonnais aient songé à tailler et monter ces pierres de la même famille que l'améthyste (violette) et que la citrine (jaune) dont elles se distinguent par leur couleur brune. D'un emploi facile, ce quartz, cristallisé en prismes hexagonaux, est naturellement poli et brillant. Joseph Odolant-Desnos, dans son livre intitulé Mémoires historiques sur la ville d'Alençon et sur ses seigneurs paru en 1787, écrit : "Les orfèvres d'Alençon mettent proprement en œuvre des cristallisations, connues dans le public sous le nom de diamans d'Alençon ; ces cristallisations sont toutes d'une couleur plus ou moins enfumée : quand on veut, on leur donne le blanc, en les mettant avec du suif, dans un creuset, à un feu modéré. Comme elles se trouvent plus abondamment dans les carrieres de Hertré et du Pont-percé, que dans les autres carrières de granit, on les connoît aussi sous le nom de "diamans de Hertré". Il écrit encore : "On trouve à un quart de lieue d'Alençon dans les carrières de Hertré ou des environs des pierres extrêmement dures et avec cela fort belles, et en outre des diamants faux, bruns et blancs qui, lorsqu'ils sont mis en œuvre, ne le cèdent guère pour l'éclat aux diamants fins." Signalons que cet historien commet une erreur en parlant de "diamants de Hertré", ce qui ne se peut puisque les carrières de Hertré n'ont jamais donné de "diamants".
Sous la Restauration, le "diamant d'Alençon" connaît une vogue considérable. Le 7 septembre 1827, lors de la pose de la première pierre de la halle aux toiles par Marie-Thérèse de France, duchesse d'Angoulême et fille de Louis XVI, la municipalité offre à cette dernière un très bel écrin en velours contenant une paire de pendants d'oreilles, un bracelet, un collier et une broche en or ornés de "diamants d'Alençon" d'un beau noir tirant sur le violet. Cette vogue perdurera jusqu'à la Première Guerre mondiale.
Naturellement, les bijoux de cette époque, aujourd'hui fort recherchés, sont devenus excessivement rares. Ceux non moins ravissants exécutés de nos jours, ne le cèdent en rien à leurs aînés, et les broches, bagues, épingles, pendentifs, etc., en "diamant d'Alençon", jouissent d'une réputation artistique justement méritée et qui s'étend bien au-delà de leur province d'origine.
C'est vers 1850 que l'Alençonnais Jean-Marie Sauvalle fonda, dans la Grande-Rue, un magasin d'horlogerie et de bijouterie à l'enseigne Au Diamant d'Alençon. Après plusieurs changements de mains, il fut repris par la famille Camus qui se fit une spécialité de l'emploi de notre "diamant".
De nos jours, la découverte de ce quartz, se trouvant en général à cinq ou six mètres de profondeur, est assez rare et due le plus souvent à la faveur de fouilles ou de terrassements pratiqués dans les zones granitiques qui bordent la ville.
Notons que l'appellation "diamant d'Alençon" n'est pas scientifiquement exacte. En effet, le diamant, dans le sens rigoureux du mot, est un minéral du groupe des substances combustibles non métalliques, formé de carbone pur comme le graphite et le charbon, mais cristallisé et dans un état particulier de condensation moléculaire. Le quartz hyalin, essentiellement constitué de silice, ne rentre donc pas dans la catégorie des véritables diamants. D'ailleurs, l'historien normand Gabriel Dumoulin qui en a parlé le premier dans son Histoire générale de la Normandie, parue en 1631, écrit que "Vers Alençon, on tire des Hertrez et autres pierres naturellement taillées en pointe de diamants, et qui souvent chez les lapidaires et orfèvres passent pour vrays aux yeux des dupes". Toutefois, cette appellation se trouve consacrée par une tradition plusieurs fois séculaire. Elle figure, dès 1694, au Dictionnaire de l'Académie française, et une carte de l'évêché du Mans, établie en 1706 par Hubert Jaillot, géographe du roi, signale, à l'ouest d'Alençon la présence de "carrières à diamans". Néanmoins, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, un décret a supprimé cette dénomination. Aujourd'hui, l'exploitation des carrières est totalement abandonnée.
Le musée des beaux-arts et de la dentelle d'Alençon conserve un échantillon de "diamant " pesant 1,850 kilogramme.
Sources :
Camus (Jacques), Le diamant d'Alençon.
Jouanne (René), Promenade à travers le vieil Alençon, 1923.
Letacq (Arthur), "Le diamant d'Alençon", Bulletin de la Société historique et archéologique de l'Orne, 1918.