Présidial

Par un édit du mois de janvier 1552, le roi Henri II institua les présidiaux, nouvelles juridictions qui avaient pour mission :

- de juger des causes civiles n'excédant pas 250 livres en capital et les cas graves, dits cas prévôtaux, tels que vols et homicides commis sur les grands chemins, dont la répression était confiée aux prévôts des maréchaux de France ;

- de juger en première instance ou par provision, les causes civiles supérieures à 250 livres en capital.

Si la création desdites juridictions fut assez mal vue des parlements dont elle réduisait les compétences, elle marquait cependant une évolution dans l'organisation judiciaire française.

M. Guillemin, qui a eu le mérite d'étudier très sérieusement l'installation du présidial d'Alençon et dont le compte-rendu fut publié dans le bulletin de la Société historique et archéologique de l'Orne en 1883, nous apprend que "le 17 juin 1552, Henri II, par lettres patentes datées du camp de Margu et adressées au parlement de Rouen qui les enregistra le 5 juillet, ordonna qu'un conseiller de cette cour, le premier requis, se transporte à Alençon, afin d'y procéder à l'installation d'un siège présidial à l'assiette de l'impôt annuel de seize cents livres en augmentant la gabelle pour le paiement des gages des magistrats du tribunal". Il faut savoir que le versement du traitement des juges présidiaux était assuré par les sujets du ressort. Pour se procurer la somme exigée, ceux-ci avaient à choisir entre l'augmentation de la gabelle ou tout autre impôt.

Nous apprenons toujours du même auteur que "le 3 août 1552, Pierre Juglet et Jacques Badouaire, échevins, gouverneurs de la ville, se rendaient à Rouen et présentaient ces lettres à Robert Raoulin, seigneur de Longpont, conseiller au parlement, le requérant de s'y conformer". Le 29 octobre suivant, eut lieu dans le palais alors situé à l'angle de la place de ce nom et de la rue du Jeudi, l'installation des officiers pourvus des charges de magistrats, dont Charles de Sainte-Marthe, dans les fonctions de juge criminel. Le bailliage et siège présidial occupa cet immeuble jusqu'au XVIIIe siècle, date à laquelle en raison de son état d'insalubrité, on préféra transférer les juridictions dans le château des ducs.

L'ancien palais de justice fut alors acheté par un particulier nommé Joseph Georges Poitrineau afin d'y établir un théâtre. Adhémar Leclère qui publia une étude sur les théâtres d'Alençon en 1913, situe la date d'acquisition au 23 septembre 1777. Il ne nous a cependant pas été possible d'en retrouver trace dans l'enregistrement (Archives départementales série II c). Le même auteur situe la date d'inauguration au 16 janvier 1778. L'ancienne salle d'audience fut restaurée suivant les modifications apportées par l'architecte Jean Delarue et devint alors salle de spectacle. Des représentations furent données au profit des pauvres au cours des périodes de disette pendant la Révolution et sous l'Empire. À cette occasion, le théâtre fut honoré de la présence du baron de Lamagdelaine, préfet de l'Orne, et de la baronne Maupetit, épouse du général commandant la subdivision de l'Orne. Le théâtre subsista jusqu'en 1809, époque à laquelle son propriétaire en décida la fermeture craignant, parait-il, les risques d'incendie.

À partir de cette époque, l'ancien présidial devint un simple immeuble de rapport. À sa mort, le 7 septembre 1811, Joseph Georges Poitrineau légua ses biens aux demoiselles Anne Angélique et Félicité Joséphine Latour, ses petites-filles, en vertu de son testament reçu par maître Meurger. Par un acte passé devant ledit maître Meurger, notaire à Alençon, le 16 novembre 1813, afin de procéder au partage des biens mobiliers et immobiliers en deux lots, l'ancien présidial revint à Anne Angélique Latour, épouse de Jean-François Lebourgeois avocat à Alençon. Par devant maître Desprez, notaire à Alençon, le 25 novembre 1815, Mme Lebourgeois vend à la dame Françoise Renée Lhomme, épouse civilement séparée de Charles Désiré Petithomme, marchand quincaillier à Alençon, "une maison située rue du Jeudi et place du Palais sur laquelle ladite maison a sa principale entrée, elle est composée au rez-de-chaussée de deux grandes salles avec cheminée, un grand cellier derrière l'une des salles, un petit cellier au bout du corridor, au premier étage, trois chambres dont deux à feu et un cabinet, un petit cabinet au-dessus et deux greniers à côté dont partie est encore indivise avec M. et Mme Despierre". Cette vente est faite à charge pour Mme Petithomme de payer "tous les frais et droits des présents et en outre moyennant la somme de 4 500 francs à payer à Mme Lebourgeois, en la demeure de cette dernière à Alençon, un an après la mort de M. René Lhomme, père de la dame acquéreur, demeurant à Mamers et jusqu'au paiement de cette somme Mme Petithomme en paiera l'intérêt à raison de 5 %".

Le 8 janvier 1829, Mme Petithomme vend ladite maison par un acte passé devant maître Lebourgeois, notaire à Alençon, à Antoine Chatelas, demeurant à Damigny au lieu dit le Pont-du-Fresne, pour le prix porté au contrat du 25 novembre 1815, payable entre les mains de maître Lebourgeois. La somme ne peut être exigée qu'un an après le décès du père de la dame venderesse jusqu'au paiement, le dit Chatelas sera tenu d'en faire l'intérêt au taux sus énoncé qu'il versera aussi à maître Lebourgeois.

Après le décès de ce dernier acquéreur survenu en 1844 et celui de son épouse, née Agathe Desmoulins, en 1865, l'immeuble échoit à Auguste Chatelas, fils de ces derniers, ainsi que le constate un acte dressé à défaut d'inventaire après le décès par maître Manette, notaire à Alençon, le 4 mars 1869.

Le 20 septembre 1871, Auguste Chatelas vend l'immeuble à Louis Alexandre Morice suivant acte passé en l'étude Mariette moyennant une rente annuelle viagère de 900 francs. Lors de son décès, le 23 mars 1883, M. Morice, laisse pour seuls héritiers ses frères, MM. Morice Alexandre René et Jean François, ainsi que le constate un acte dressé à défaut d'inventaire après décès, par maître Chancerel, le 3 avril 1883.

Suivant un acte reçu par ledit maître Chancerel, le 27 décembre 1890, M. Morice Alexandre René acquiert à titre de licitation la moitié indivise appartenant à son frère dans la maison dont il s'agit, moyennant un prix principal de 5 500 F payé comptant.

Le 7 juillet 1892, le dernier acquéreur susnommé et son épouse née Davoust, vendent l'immeuble aux époux Hardouin, moyennant une rente annuelle et viagère de 900 F, réductible à 400 F au décès du premier mourant.

Le 23 janvier 1894, les époux Bouquet achètent l'immeuble aux époux Hardouin moyennant la somme de 40 F et à la charge de payer au lieu et place des vendeurs, la rente viagère due aux époux Morice, payable par semestre à compter de Noël 1893.

Un jugement rendu par le tribunal civil de première instance d'Alençon en date du 10 mars 1908 prononça l'expropriation "pour cause d'utilité publique" des immeubles situés à l'angle de la rue du Jeudi et de la place du Palais afin de permettre la construction de l'hôtel des postes. De telle sorte que dans le courant du mois d'octobre de la même année, l'ancien palais de justice était livré à la pioche des démolisseurs.

Daniel Goualard, Alençon Notre Cité, n° 24, octobre 1979.