Martin (Thérèse)

Thérèse Martin est née en 1873 à l'actuel n° 50 de la rue Saint-Blaise. Elle est le neuvième enfant et la plus jeune des filles de Louis Martin et de Zélie Guérin, fabricants de Point d'Alençon.

Un mois après sa naissance, elle est si gravement malade que l'on redoute une mort prochaine. Elle vit son enfance dans un milieu empreint d'un sentiment de dévotion à l'égard de Dieu, accentué par la personnalité de ses parents dont les vocations religieuses ont été contrariées et qui comptent dans leur parenté plusieurs membres du clergé. Mme Martin meurt en 1877 d'un cancer ; Louis Martin liquide alors ses affaires et s'installe à Lisieux.

Thérèse est capricieuse, émotive, volontaire, capable de fortes colères, éprise de savoir et passionnée de vérité. À 8 ans, elle entre au pensionnat des bénédictines où elle reste cinq années. À 10 ans, elle tombe malade et elle est la proie de crises de frayeur et d'hallucinations. De longs évanouissements la laissent insensible pendant des heures. Le médecin qui diagnostique une "maladie grave dont jamais aucune enfant n'a été atteinte" assure qu'il ne s'agit pas d'hystérie. De cette épreuve, elle reste psychologiquement fragile et son entourage s'efforce de ne pas la contrarier afin d'éviter les rechutes. Le jour de sa seconde communion, elle sent naître un grand désir de souffrance. "Jusqu'ici, écrit-elle, j'avais souffert sans aimer la souffrance, depuis ce jour, je sentis pour elle un véritable amour."

C'est pendant la nuit de Noël 1886 que Thérèse décide d'être carmélite. Elle pense que le monde regorge d'âmes en perdition et qu'il faut les sauver à tout prix, notamment par la souffrance car celle-ci est rédemptrice ainsi que l'a montré le Christ. Il faut cependant signaler que d'après quelques historiens, et plus particulièrement Jacques Duquesne, jamais Jésus n'a dit qu'il devait mourir pour "racheter" les péchés des hommes. Pour ce dernier, c'est la foi qui sauve, pas la pénitence ou le sacrifice. Après bien des difficultés, Thérèse est admise au carmel de Lisieux en 1888 après avoir écrit la veille à sa sœur Agnès : "Je veux être une sainte". La prieure la trouve parfaite bien qu'elle perçoive en elle une tendance à l'orgueil (elle ne sera d'ailleurs pas la seule à remarquer ce "péché capital"). En prononçant ses vœux, en 1890, elle devient sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face.

Il est nécessaire de préciser ici qu'un carmel est un couvent où les religieuses cloîtrées cherchent Dieu par la prière. Obéissance, humilité, charité, détachement absolu de toutes choses et surtout l'amour des souffrances poussé jusqu'à l'étude de la science de souffrir qui demande la pénitence, le renoncement et la mortification, tels sont les points essentiels des règles du carmel que sœur Thérèse suit avec enthousiasme.

Photographie prise par M. l'abbé Gombault en janvier 1889. Considérée comme "infidèle" par le carmel, cette photographie fut retouchée et ne parut qu'après la canonisation.

Affectée au travail de la sacristie, elle est chargée de la confection d'images. Elle dessine, peint les murs, compose quelques tableaux et s'essaie même à la fresque. Sur l'une d'elles, Thérèse se représente auprès du Christ. Son désir d'être humiliée (mais l'humilité ostentatoire n'est-elle pas une forme cachée d'orgueil ?) est exaucé dans des travaux mineurs : balayage, vaisselle, lessive, etc.

C'est en 1894 qu'elle commence à ressentir des douleurs dans la poitrine. Sa santé délicate résiste mal aux rigueurs de la vie conventuelle. Aux fatigues et aux mortifications se mêle la douleur de la perte de son père qui, atteint de folie, meurt le 29 juillet. Un jour, des voix intérieures lui suggèrent que toute sa vie spirituelle n'a été qu'illusion et qu'elle va mourir jeune pour rien. Elle pense au suicide. Mais une nuit, Thérèse rêve qu'une carmélite espagnole lui annonce que Dieu est très content d'elle. En 1896, la maladie se fait plus présente. À mesure que les jours passent, ce sont des vomissements, des fièvres, de très vives douleurs dans la poitrine, des étouffements, des crachements de sang et de longues quintes de toux. Elle connaît toutes les humiliations d'une grabataire totalement dépendante de son entourage. Consciente, insomniaque, elle est toujours gaie et contente. Elle annonce qu'après sa mort elle répandra une pluie de roses sur la terre, exprimant par là son désir de faire le bien. Fin août 1897, le médecin annonce que "la tuberculose est arrivée au dernier degré". Le mot, tabou à l'époque, est prononcé. Après une agonie de quinze jours, Dieu la rappelle à lui le 30 septembre 1897.

Son autobiographie, Histoire d'une âme, éditée l'année suivante, fait le tour des cloîtres. On parle de Thérèse à Lisieux et dans les environs et on vient prier sur sa tombe. Le pèlerinage naît ainsi tout seul d'un mouvement populaire qui va en s'amplifiant. Durant la Première Guerre mondiale, les soldats des deux camps adoptent la jeune carmélite pour protectrice, puis après le conflit des milliers de suppliques demandent la glorification officielle de cette religieuse naguère inconnue et qui n'a rien fait d'extraordinaire.

Il faut signaler ici que certains historiens, et même des prélats, assurent que ses sœurs, notamment Agnès, prieure du carmel, ont retouché ses écrits, cherché à gommer ce qui leur semblait trop trancher avec les ouvrages spirituels de l'époque, étouffé ses doutes, trafiqué ses photographies, altéré son message et que, finalement, elles l'ont "mise en scène en forme d'image d'Épinal". Cette image parfaitement orchestrée fait le tour du monde et la popularité de Thérèse devient immense.

Devant ce culte incontrôlé, l'Église, quelque peu dépassée, décide de réagir en la canonisant. Tout va alors très vite. en 1921 le pape promulgue l'héroïcité de ses vertus et la proclame Vénérable. Après l'examen de deux miracles choisis parmi des centaines, elle est béatifiée en 1923 et inscrite au catalogue des saints en 1925. En 1927, elle est choisie comme la Patronne des missionnaires du monde entier. Enfin, le pape Pie XII, en 1944, proclame Thérèse Patronne secondaire de la France à l'égal de sainte Jeanne d'Arc.

Un commerce de "bondieuseries" s'organise alors à Lisieux et ce n'est qu'après 1951, date du décès de Mère Agnès, qui avait la haute main sur l'héritage de sa sœur, que sa pensée est revue. Jean-François Six, prêtre et historien, dénonce le "portrait de star aux couleurs hollywoodiennes " que l'on a voulu faire d'elle. Il parle d'histoire recomposée, de fille présentée comme "une demeurée" pour qui a été construit "un château néo-byzantin écrasant la ville de Lisieux". Il assure que le manuscrit d'Histoire d'une âme a été publié avec 7 000 retouches et que les véritables photographies de Thérèse sont apparues soixante ans après sa mort. Il cite Georges Bernanos, qui déclara que "Thérèse a été vendue par ses sœurs", souligne la discrétion de certains sur la maladie mentale de son père et le dolorisme (théorie de l'utilité et de l'excellence de la douleur) de sa mère et accuse les sœurs du carmel d'avoir confectionné des souvenirs et d'avoir crée des reliques après sa mort. Il reconnaît cependant que Thérèse était une géante spirituelle, fraternelle et éperdue d'amour envers Dieu. Il approuve également sa nomination comme docteur de l'Église en 1997 par Jean-Paul II, étonnante contradiction pour cette jeune fille qui écrivit "Jésus n'a point besoin (...) de docteurs pour instruire les âmes", à condition de ne pas "doctoriser " Lisieux qui n'a pas le droit de se servir d'elle car sainte Thérèse a déjà été trop souvent utilisée. Ultime paradoxe, cette petite moniale qui n'a jamais quitté son carmel, dans lequel elle "mena une vie sans relief"' d'après le Petit Larousse, et qui, finalement, ne s'est distinguée en rien, est universellement connue. Sainte Thérèse est la patronne des fleuristes.

Bibliographie : Les livres sur Thérèse Martin sont innombrables ; en voici quelques uns :

Bouix (Marcel), Vie de sainte Thérèse écrite par elle-même, 1920.

Carmel de Lisieux, Une rose effeuillée, Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, 1900 (?).

Gaucher (Guy), Histoire d'une vie, Thérèse Martin, 1982/1993.

Laveille (Monseigneur), Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus , 1925 (?).

Martin (Thérèse), Histoire d'une âme, 1928.(?)

Martin (Thérèse), Manuscrits autobiographiques, 1957.

Petitot (H.), Sainte Thérèse de Lisieux, Une renaissance spirituelle, 1925.

Six (Jean-François), Vie de Thérèse de Lisieux, 1975.

Extrait de Mémoire en images Alençon (Alain Champion et Yves Le Noach, Éditions Alan Sutton, 1995) et du Dictionnaire des rues et monuments d'Alençon (Alain Champion, Éditions Cénomane, 2003).