Leclère (Adhémar)
Fils d'Avertin Leclère, tailleur d'habits, et d'Aimée Désirée Briône, Adhémar Leclère est né à Alençon le12 mai 1853. Élevé dans la tradition républicaine, il reçoit une éducation morale assez rigide. Jeune, il lit beaucoup et s'intéresse vivement aux maîtres à penser du socialisme français. Il est par ailleurs réfractaire à tout ce qui concerne l'Église.
Des événements familiaux l'obligent à partir pour Paris où il est d'abord ouvrier typographe, puis correcteur et enfin directeur d'imprimerie. Adhémar Leclère adhère au parti socialiste et milite dans le mouvement ouvrier parisien aux côtés du socialiste Paul Brousse, écrivant quelques brochures. Il héberge son ami, le socialiste allemand Georg Von Vollmar, lors d'un séjour à Paris à l'époque de la loi contre les socialistes et prend part à la fondation du journal ouvrier Le Prolétaire dont il devient le chef de la rédaction. Méfiant à l'égard du marxisme, mais partisan modéré des nouveautés républicaines, il défend l'idée de l'évolution contre celle de révolution, affirmant que la transformation sociale est liée à la transformation économique. En conséquence, il propose la suppression du mot "révolutionnaire" du titre du parti socialiste au congrès de Saint-Étienne en 1882. L'année suivante, il fonde le journal Le Typographe et parvient à obtenir de la chambre syndicale des typographes, la création de l'organe La Typographie Française qui est devenu le
journal officiel de toutes les chambres syndicales françaises du livre. Il collabore également à plus de dix journaux de province. La même année, il entre à La Justice, fondée par Georges Clemenceau en 1880, où ses nombreux articles sur la politique étrangère et les questions économiques sont souvent remarqués et critiqués par les autres journaux. En 1885, il crée La Justice du Var à Draguignan et collabore à la Revue Scientifique, à la Deustch Revue d'Hambourg et à d'autres revues étrangères.
Nommé résident de France à Kampot, au Cambodge, en mai 1886, il s'attache à la vie des populations qu'il est chargé d'administrer. Bien que le protectorat français soit déjà implanté depuis 1863, l'état du Cambodge est très critique et il faut beaucoup de courage à Adhémar Leclère pour "pacifier" le pays. Patiemment, il établit des relations, réussit à se faire accepter et devient populaire. Sa carrière se déroule à Kampot jusqu'en 1890, puis à Kratié-Sambor de 1890 à 1894, ensuite à Kratié jusqu'en 1898 et enfin à Phnom-Penh où il est résident-maire de 1899 à 1903, avant d'être nommé inspecteur et conseiller à la résidence supérieure de 1908 jusqu'à sa retraite en 1911 après vingt-cinq années de service. Les rois du Cambodge, en reconnaissance des services rendus, lui décernent de nombreux titres et décorations. Membre de la Société d'ethnologie de Paris dont il est membre fondateur et le vice-président, respectueux du patrimoine local, il écrit de très nombreux ouvrages sur la langue, les moeurs, le droit, la religion et la culture du peuple cambodgien tout en collectant des objets de la vie quotidienne complétés par des prises de vue documentaires réalisées par ses soins. Il a notamment publié : Recherches sur la législation cambodgienne en 1890 ; Recherches sur la législation criminelle et la procédure des Cambodgiens en 1894, ouvrage couronné par l'Académie des sciences morales et politiques ; Les fêtes religieuses bouddhiques chez les Cambodgiens en 1895 ; Recherches sur les origines brahmaniques des lois cambodgiennes en 1898 ; ainsi que des contes indochinois comme La sandale d'or ; Les Pnongs, peuple sauvage de l'Indo-Chine en 1899 ; un roman de moeurs parisiennes La musique de Francique en 1903 ; un volume de poésies Insomnies en 1907 ; Histoire du Cambodge en 1914 ; Cambodge, fêtes civiles et religieuses en 1916 ; etc.
Quelques mois après la parution de ce dernier livre, Louis Finot, rendant compte de cet ouvrage dans le Bulletin de l'École française d'Extrême-Orient estime que "Dans la longue série des ouvrages de ce fécond écrivain, il n'en est pas un qui soit ou entièrement négligeable, ou à peu près satisfaisant. Celui qui vient de paraître n'est ni meilleur ni pire que les précédents. Un relevé de ses méprises remplirait des pages." Par ailleurs, Henri Tournoüer, président de la Société historique et archéologique de l'Orne en 1917, écrit peu après la disparition d'Adhémar Leclère que "C'était un chercheur et un travailleur, mais ses lecteurs ont plus d'une fois regretté qu'il lui manquât cette culture première et complète des hautes études classiques, si indispensables à l'historien pour juger avec sérénité des hommes et des faits." Enfin, Christian Thomas, dans son édition critique de la Chronique des années 1709 à 1732, attribuée à Jean Brière, bourgeois d'Alençon, parue en 2001, constate que pour rédiger son histoire de La commune d'Alençon de Louis XI à la Révolution citée ci-dessous, il a tellement abondamment utilisé cette chronique que son chapitre XII intitulé "Tableau d'Alençon au commencement au XVIIIe siècle" "n'est quasiment constitué que d'emprunts à la chronique de Brière" et que ces emprunts sont d'ailleurs dénaturés. Il "commet des erreurs [de dates et de lecture] qui aboutissent à des transcriptions totalement erronées." Cependant, les spécialistes du Cambodge n'en continuent pas moins à consulter les œuvres de cet auteur et à le considérer comme une autorité en la matière.
En 1902, Adhémar Leclère est candidat au siège de député de l'arrondissement d'Alençon. Mais, ayant constaté la division du parti républicain, il se retire avant l'ouverture officielle de la campagne électorale. La candidature lui est de nouveau offerte en 1906, néanmoins il la refuse sous prétexte qu'il a à terminer des travaux ne pouvant être achevés qu'au Cambodge. Il se retire en 1912 dans sa ville natale, où il continue à écrire, mais sur l'histoire locale. On lui doit notamment : La Révolution à Alençon. Année 1789, publié en 1912 ; Le théâtre à Alençon aux XVIIIe et XIXe siècles, en 1913 ; La commune d'Alençon de Louis XI à la Révolution et La Révolution à Alençon. Année 1790, en 1914. Adhémar Leclère est décédé à Alençon le 16 mars 1917.
Homme à multiples facettes : politique, administrateur colonial, économiste, littérateur, poète et indianiste, Adhémar Leclère laisse sa collection d'environ sept cents objets cambodgiens au musée des beaux-arts et de la dentelle d'Alençon dans une salle qui porte son nom et dans laquelle est exposé son buste. Une partie de ses livres, dont son Journal qui retrace ses pittoresques péripéties, a été remise à la bibliothèque municipale d'Alençon et d'autres objets ont pris place au musée Cernuschi à Paris.
Sources
Archives municipales d'Alençon : registres d'état civil de 1853 et de 1917 ; délibération du conseil municipal du 27 juin 1919.
Tranet (M.), Adhémard Leclère : sa vie, ses travaux, 1984.
Notice écrite pour le Dictionnaire de biographie française des éditions Letouzey et Ané.