Gagne-Petit (maison du)

Le Gagne-Petit, célèbre magasin alençonnais, a été fondé par Pierre Romet. Celui-ci, né le 7 juin 1819 à Alençon, fait ses études au collège et part pour Paris, à l'âge de 16 ans, faire l'apprentissage du commerce dans le quartier du Sentier au sein d'importantes maisons de tissus. C'est alors qu'il fait la connaissance de Pierre Parisot, fondateur de la Belle Jardinière en 1824, et du Bellêmois Aristide Boucicaut, qui créera le Bon Marché en 1852.

De retour dans sa ville natale, Pierre Romet achète le magasin Sebault, situé sur l'emplacement actuel de la galerie marchande du Pont-Neuf, et ouvre, en avril 1844, sa maison de commerce à l'enseigne du Gagne-Petit placée dans une niche de la façade. C'est sans aucun doute pendant son séjour parisien qu'il eut l'idée de reprendre l'enseigne du Gagne-Petit représentant un rémouleur en costume Louis XV (le rémouleur était autrefois appelé "gagne-petit"). Cette enseigne en pierre était placée sur une maison bâtie en 1767 à l'angle des rues Nonnains-d'Hyères et de l'Hôtel-de-Ville, dans le quatrième arrondissement, sur le site du square Schweitzer, et était très connue dans le quartier. Elle est aujourd'hui conservée au musée Carnavalet et sa copie à été posée au n° 2 de la rue de Jouy.

Grâce aux aptitudes commerciales remarquables de Pierre Romet, l'affaire prend rapidement de l'importance et, dès les années 1850-1860, le magasin joue la carte du gros, du demi-gros et du détail. En 1856, 1864 et 1875, il est procédé à des agrandissements importants. Pierre Romet est le premier, dans la région, à instaurer la vente à prix fixe qui marque une véritable révolution dans les habitudes de transaction basées sur le marchandage. Il constitue un réseau serré et fonde de nouvelles maisons, notamment au Mans en 1860 et à Caen en 1873. Pendant la guerre franco-allemande de 1870-1871, sa maison est l'une des premières à être pillée et il finance une part importante de l'indemnité due aux vainqueurs. Cette période néfaste n'empêche pas le magasin, qui utilise beaucoup la publicité, de connaître une période de gloire à la Belle Époque. Ses "voyageurs" arpentent la région en se déplaçant à cheval et en voiture. L'établissement "connu pour la qualité et le bon marché de toutes ses marchandises", atteint une des premières places dans l'économie régionale. Le choix des articles proposés est immense : couvertures, draps, fourrures, lainages, rideaux, soieries, tapis, tissus d'ameublement, toiles, vêtements de confection et sur mesure, etc., avec possibilité de livraison à domicile. Les ateliers de confection emploieront jusqu'à deux cent quinze personnes sans compter les vendeurs et le personnel de bureau.

Le magasin a des comptoirs d'achat à Lille, Lyon, Reims, Roubaix, Rouen, Paris, Tourcoing, etc. Les catalogues et le célèbre agenda annuel de la maison offrant une foule de renseignements sur les sujets les plus variés, sont aujourd'hui d'excellents témoins de l'évolution des prix, de la mode et de la mentalité de l'époque.

En 1892, Pierre Romet associe à l'affaire ses deux fils, Paul et Charles. Ceux-ci lui succèdent officiellement en 1902 sous l'enseigne Les fils de Pierre Romet et continuent l'œuvre de leur père qui s'éteint le 19 septembre 1904.

Créant une maison de gros à Laval dans les années 1910, et agrandissant celle d'Alençon, les fils Romet s'adaptent au progrès et aux exigences de la clientèle. Ils sont, à Alençon, les promoteurs du repos hebdomadaire par la fermeture du magasin le dimanche ; en 1922, ils mettent en place les allocations familiales bien avant l'obligation légale ; une pouponnière, avec une garderie d'enfants, est créée en 1926. En juin 1928, Paul et Charles Romet laissent la place à la troisième génération. Entre les deux guerres l'activité demeure florissante et l'établissement aborde divers domaines : maroquinerie, mercerie, meubles, parfums, stores, vitrages, etc.

Mais, conséquence des bouleversements commerciaux consécutifs à la Seconde Guerre mondiale, le Gagne-Petit doit fermer ses portes et il est remplacé par les Nouvelles Galeries le 11 septembre 1965. Après la fermeture de celles-ci, le 31 décembre 1985, il faut attendre le 15 décembre 1988 pour que des travaux de démolition commencent à l'intérieur de l'immeuble vacant afin d'aménager la galerie marchande du Pont-Neuf inaugurée le 27 septembre 1989.

 

 

Extrait de Alençon de A à Z (Alain Champion, Éditions Alan Sutton, 2008).