Armoiries d'Alençon

Les armoiries

C'est sur les champs de bataille du haut Moyen Âge que sont nées les armoiries.

Les conflits antiques se produisaient généralement entre peuples très différents les uns des autres. Barbares, Gaulois, Romains, etc. portaient tous des costumes et des équipements particuliers. Ils pouvaient donc se reconnaître. Il en va tout différemment avec l'apparition des guerres féodales dont les combattants sont de même race et portent un équipement identique. Les boucliers étant assez grands, on a l'idée de s'en servir en les peignant de signes de ralliement. Dès lors, chaque seigneur possède sa marque. C'est ainsi que les armoiries vont se transmettre de génération en génération.

Les armoiries seront en usage chez les bourgeois, les ecclésiastiques, les femmes, les corporations et même chez les paysans. Le droit exclusif de la noblesse aux armoiries est une contre-vérité. Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, chacun, noble ou roturier, a toujours été libre de porter les armoiries de son choix.

En 1696, un édit, surtout inspiré par des préoccupations fiscales, institue l'Armorial général dans lequel sont recensées toutes les armoiries portées dans le royaume et obligatoirement soumises à un droit d'enregistrement. On délivra donc des armoiries à ceux qui en voulaient et même à ceux qui n'en voulaient pas. Cette institution eut pour conséquence la création de quantités de blasons fantaisistes et erronés. Pour ceux qui en voulaient, on imagine à quelles aberrations menèrent l'orthographe phonétique et les fantasmes des autres. Pour ceux qui n'en voulaient pas, l'administration s'employa à leur en attribuer avec un humour parfois féroce, maniant le rébus, la charade et le calembour. Imposées, déformées, mutilées, les choses restaient le plus souvent en l'état car, à moins d'un nouveau paiement de droits, personne n'avait plus la possibilité de changer les armes déposées. Cependant, ces nouvelles armoiries furent soigneusement consignées dans l'Armorial général qui, contrairement à une idée largement répandue, n'a rien d'un nobiliaire, et les villes durent se soumettre à cette exigence.

Alençon

Les armoiries alençonnaises, "d'azur, à un aigle à deux têtes, d'or" furent légalisées en 1817. L'explication du blason d'Alençon est très controversée. C'est entre l'écusson fleurdelisé et celui portant une aigle - en terminologie héraldique cet oiseau est du genre féminin - qu'il reste à se prononcer, sans omettre l'éventualité de la réunion de ces deux emblèmes.

Le lis

À l'origine, le lis ne représente pas la fleur stylisée mais probablement le fer de lance des Francs avec ses deux crochets. C'est vers les règnes de Louis VI (1108/1137) et de Louis VII (1137/1180) que la fleur de lis devient l'emblème de la France. L'écu fleurdelisé se transmet aux seigneurs alençonnais lorsque Louis IX donne le comté d'Alençon à son cinquième fils, Pierre, en 1269. Le lis appartient spécifiquement à la royauté française contrairement à l'aigle qui est d'un caractère universel comme on le verra plus loin.

Le blason des seigneurs d'Alençon

 

Le blason des seigneurs d'Alençon, princes de sang royal, est le suivant : "De France, à la bordure de gueules, chargée de huit besants d'argent" [c'est-à-dire trois fleurs de lis sur fond azur, bordé de rouge, orné de huit besants].

 

 

L'aigle

Seul animal prétendument capable de fixer le soleil d'égal à égal sans se brûler les yeux, cet oiseau est un emblème de tous les pays et de tous les temps. L'aigle à deux têtes, qui semble remonter aux anciennes civilisations égyptiennes, représente une autorité plus que royale, impériale, mais aussi la multiplicité des parties d'empires que seule l'aigle bicéphale est capable de surveiller de son double regard.

Qu'elle soit monocéphale ou bicéphale, un grand nombre de familles, de villes, de régions et de pays la portent ou l'ont porté. L'aigle est donc un emblème fréquent, symbolisant l'empire, et non pas allemand comme beaucoup le pensent.

En ce qui concerne Alençon, l'origine de l'aigle serait, selon certains historiens, un souvenir de Mathilde, petite-fille de Guillaume le Conquérant et fille d'Henri Ier, duc de Normandie et roi d'Angleterre. Elle avait épousé l'empereur germanique de l'Empire romain, Henri V, qui avait pour emblème l'aigle monocéphale. Vers 1124, elle aurait obtenu de son époux une concession d'armoiries impériales en faveur des villes de sa jeunesse. C'est oublier que les villes n'avaient pas d'armes à cette époque.

Selon Henri du Motey, Guillaume III, seigneur d'Alençon (1119/1171), aurait adopté l'aigle parce qu'en retour de son dévouement, il avait reçu de Mathilde, devenue duchesse de Normandie par son second mariage avec Geoffroy Plantagenêt, de grands bienfaits pour Alençon. Cette aigle d'or, bientôt placée sur un fond de sinople [vert], aurait donc pu figurer sur l'ancien sceau d'Alençon avant la réunion de la Normandie à la Couronne de France en 1204.

Xavier Rousseau pense que si la duchesse de Normandie avait voulu honorer Guillaume III, elle lui eût plutôt donné le lion normand que l'aigle germanique. Notons que l'aigle monocéphale du Saint-Empire romain n'a reçu sa seconde tête qu'en 1250 et que ce blason n'a été définitivement institutionnalisé qu'à partir de 1433. Xavier Rousseau suggère alors que le comte d'Alençon Pierre II aurait pu adopter l'aigle bicéphale de Bertrand du Guesclin - passé par Alençon en 1370 - avec qui il guerroyait. Il existe aux Archives départementales du Calvados deux actes de Pierre II dont les sceaux sont ornés de l'aigle.

Quant à Gabriel Devos, il pose deux questions : Pierre II n'aurait-il pas adopté l'aigle bicéphale symbolisant la possession des deux villes d'Alençon et d'Argentan ou n'aurait-il pas voulu se distinguer des lis de la Couronne de France, des lions du duché normand et de l'aigle monocéphale du Saint-Empire romain germanique ? Peut-être est-ce pour toutes ces raisons ? Xavier Rousseau se demande par ailleurs comment l'aigle bicéphale a pu entrer dans le blason d'Argentan : fut-elle régulièrement octroyée à la Ville par Pierre II ou les Argentanais la prirent-ils d'autorité ? La même question se pose pour Alençon. Quoi qu'il en soit, Alençon perd ses libertés pendant la guerre de Cent Ans. Celles-ci lui sont rendues par une charte de Louis XI qui stipule notamment que le "maire sera tenu faire un scel [et un] contrescel semé de fleurs de lys et armoyé des armes de la ville". En conséquence, on donna aux armoiries d'Alençon le seul chef de France, ou on les écartelait avec celles de France.

Le petit-fils de Pierre II, le duc Jean IV, ainsi que le petit-fils de ce dernier, le duc Charles IV, utiliseront l'aigle à deux têtes. René Jouanne nous apprend que "cet oiseau héraldique, sous la forme d'"une aigle d'or peinte", représentait déjà les armes de la ville sur la maison de Guillaume le Rouillé, en 1544, quand Marguerite de Navarre fit une entrée pompeuse en notre cité".

Dans une note manuscrite, Joseph Odolant-Desnos évoque un très vieux coffre sur lequel figure une aigle monocéphale, attesté au XVIe siècle et encore existant en 1789, dans lequel une partie des archives est conservée. C'est encore cette aigle qui figure sur la couverture du plus ancien registre des délibérations du conseil de ville commençant en 1600, que l'on peut voir aux Archives municipales.

Registre des délibérations de conseil municipal (A.M.A. 39 D 1)
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Malgré la concordance des diverses descriptions en faveur de l'azur, il est probable que la véritable couleur soit le sinople résultant d'un premier sceau en cire verte, ou, selon certains historiens, de l'influence de Marguerite de Lorraine, duchesse d'Alençon. Mais si cette dernière avait voulu rappeler son souvenir dans les armes alençonnaises, pourquoi aurait-elle choisi le vert qui n'était pas de ses couleurs ? Ajoutons que l'aigle n'apparaît pas dans son blason.

Joseph Odolant-Desnos indique dans ses Mémoires historiques sur la ville d'Alençon et sur ses seigneurs "Alençon porte, pour armoiries, de sinople à l'aigle éployé, d'or. Nous ignorons quel prince les lui a données, et pourquoi elles sont différentes de celles de ses anciens seigneurs. L'ancien sceau de la ville portoit les mêmes armes, au chef d'azur semé de fleurs de lis d'or sans nombre". Je pense qu'il faut lui faire confiance.

Les fleurs de lis et l'aigle

Les deux blasons, l'un portant les fleurs de lis, l'autre l'aigle, vont parfois être réunis. Cette alliance, d'une légitimité contestable, sera reprise en 1815. Un sceau, qui n'avait pas été autorisé par le Gouvernement, fut utilisé très peu de temps. Au frontispice de l'ouvrage déjà cité de Joseph Odolant-Desnos, on remarque deux écus accolés : le premier est celui des seigneurs d'Alençon et le second celui de la Ville. C'est que dans son dessin, comme dans son texte, il fait la part des uns et de l'autre.

Sceau de 1815
Odolant-Desnos

 

Légalisation des armoiries alençonnaises

Après les lois de 1790 supprimant des armoiries, l'Empire les rétablit en 1809. Il faut attendre 1814 pour qu'une ordonnance indique la procédure à suivre pour les villes qui veulent reprendre leur ancien blason. Une délibération du conseil municipal autorise le maire d'Alençon à faire toutes les démarches utiles pour faire vérifier ses armoiries qui sont "de sinople à l'aigle éployé, d'or". Mais le retour de Napoléon empêche la réalisation du projet.

Après la Seconde Restauration, on songe de nouveau à l'affaire des armoiries. Mais le conseil municipal demande maintenant "à écarteler ses anciennes armes avec celles de France, et sur le tout, un chef de France".

À cette requête, la Chancellerie répond en 1816 "que la Commission a jugé que ce n'est pas une reprise d'armoiries que demande le conseil municipal, puisqu'il reconnaît, dans sa délibération du 27 décembre 1814, que les armoiries d'Alençon sont "de sinople à l'aigle éployé, d'or", et que maintenant il demande à écarteler ses anciennes armes avec celles de France". C'est donc une véritable concession dont le prix est de 600 francs. Et même si la Ville se désistait de la demande des armes de France, il y aurait encore lieu à discussion sur la couleur de son écu puisque l'Armorial général indique qu'il est d'azur. L'Armorial général fourmille d'erreurs notamment pour Alençon où la confusion est totale. Le sinople originel a été remplacé par l'azur royal, les lis ont été oubliés et l'aigle monocéphale a reçu une seconde tête. Sur quoi, le conseil municipal déclare que son intention a été, dans sa délibération de 1814, "de reprendre ses anciennes armoiries telles qu'elles sont portées dans l'Armorial général". Il est hors de doute que le conseil revendique le sinople et l'aigle à une tête, mais l'Armorial, portant azur et l'aigle bicéphale, les lettres patentes du 2 août 1817 s'y conforment en tous points. Elles proclament, sans doute au grand étonnement des Alençonnais, que les armoiries de leur ville seront désormais ""d'azur, à un aigle à deux têtes, d'or", lesquelles armoiries avaient été accordées à ladite ville par les rois, nos illustres prédécesseurs" ainsi qu'on le fait dire à Louis XVIII. L'erreur manifeste et définitivement consacrée ne semble pourtant pas avoir fait l'objet d'une réclamation.

Quoi qu'il en soit, ce sont maintenant les armoiries légales de la Ville d'Alençon ; ce n'en est pas moins un blason altéré et douteux qui, en outre, n'a probablement pas été une concession des rois de France.

Lettres patentes de 1817 (Archives municipales d'Alençon, 16 Fi)

Ajoutons que les ornements extérieurs du blason actuel sont une couronne murale à quatre tours cénelées d'or, ouvertes et maçonnées de sable [portes et dessins des briques en noir]. L'écu est entouré de deux branches de lauriers - symbole de la gloire - et, sous le blason, figure une croix de guerre 1939-1945.

Sources

Archives municipales d'Alençon, Armoiries, sous-série 10 D.

Champion (Alain), "Les armoiries d'Alençon", Alençon Notre Cité, juillet 1987.

Devos (Gabriel), Les origines diverses de l'aigle bicéphale en France, 1990.

Jouanne (René), Promenade à travers Alençon, 1923.

Joubert (Pierre), Les Armes, initiation à l'Héraldique, 1977.

Motey (Henri du), "À propos des armes de la ville d'Alençon" Le Journal de l'Orne, 25 février 1925.

Odolant-Desnos (Joseph), Mémoires historiques sur la ville d'Alençon et sur ses seigneurs, 1787.

Rousseau (Xavier), "Le blason argentanais", Le Pays d'Argentan, 1943.

Thiébaud (Jean-Marie), "De sable et d'or", Gé-Magazine, mars 1988 et juillet-août 1993.

http://www.heraldique-europeenne.org/regions/france/alencon.htm